22/11/2014
Paris : la tour Triangle, une affaire de la gauche libérale
Mais une mauvaise affaire aux yeux des Parisiens :
Des Verts logiques pour une fois avec l'écologie, additionnés à des UMP ne résistant pas à l'envie d'emm... la mairie (quitte à oublier qu'ils ont soutenu le projet depuis le début) : le 17 novembre au Conseil de Paris, cette majorité improbable a rejeté le projet de construction d'une méga-tour dans le XVe arrondissement. Mme Hidalgo a riposté en annonçant qu'elle portait plainte en justice* contre ce vote, et qu'on allait revoter en mars. Les opposants répondent qu'ils revoteront de la même façon. Mme Hidalgo contre-riposte avec l'arme fatale, l'argument sans réplique : « Je refuse que cet investissement de 500 millions d'euros porté par le privé nous échappe ! » (C'est la gauche libérale).
Or le dossier de la tour Triangle est mauvais. Mme Hidalgo le sait, mais l'abracadabra des 500 millions est supposé dissiper toutes les objections.
Si le dossier est mauvais, c'est que :
- l'édifice Triangle culminerait à 180 mètres**, mais les Parisiens se déclarent contre ces Babel. Ils déplorent l'existence de Maine-Montparnasse***, et se félicitent rétrospectivement que M. Pompidou ait renoncé à raser la gare d'Orsay pour y construire la deuxième tour qu'il souhaitait ;
- les deux concepteurs suisses de Triangle, MM. Herzog et Meuron, font partie des « starchitectes » qui couvrent la planète de réalisations uniformes. Ces tours « sont à la hauteur de leur ego », juge Michel Guerrin. A la hauteur aussi de leurs ambitions financières... D'où la monotonie de cette architecture-spectacle, symbole du sans-limites mondialisé ;
- l'équipe Hidalgo proclame « crucial » qu'Herzog et Meuron fassent l'honneur à Paris de venir s'y « exprimer » ! (argument insupportablement snob) ;
- l'Unesco et l'opinion soutiennent que Paris doit rester autant que possible une ville harmonieuse, échappant au giga-délire des économies-soufflé (monde arabe et Asie) ;
- le projet de tour Triangle a été « plus vendu qu'expliqué », disent ses opposants. En réalité : 1. le budget ne sera pas maîtrisé (cf. la Philharmonie de Hambourg : autre exploit Herzog-Meuron), 2. parler de « tour transparente » est une imposture, 3. la tour ne contiendra ni logements, ni commerces, ni hôtels, ni espaces culturels, mais exclusivement des bureaux : 80 000 m2, alors que Paris comme les capitales européennes est déjà plein de bureaux vides. Construire de nouvelles tours de bureaux ne répond à aucun besoin économique, constate Guerrin : « par exemple The Shard (2012), la tour de Londres alors la plus haute d'Europe (310 m), dessinée par Renzo Piano, a eu du mal à trouver preneur – c'est le Qatar qui est venu à la rescousse... »
Le tour Triangle est un nouveau GPI (Grand Projet Inutile), un engrenage machinal dans la ligne de Notre-Dame-des-Landes, de Sivens et du TGV Lyon-Turin. M. Valls grenade les opposants de Sivens et de NDDL. Mme Hidalgo fait mieux symboliquement : elle traîne les élus devant des juges. Prise à partie par les opposants au projet Triangle, Madame la mairesse (est-ce assez de féminins ?) répond par des mantras dans la langue sacrée : il s'agit, déclare-t-elle, de « positionnement urbain en phase avec la métropole en devenir » : c'est-à-dire du « développement » de la capitale.
Mais c'est justement le problème ! Les mégapoles planétaires se « développent » comme des tumeurs, et la classe politique – gauche et droite confondue – refuse de s'en soucier ; elle est trop liée à la sphère financière pour se permettre de réfléchir.
Sortons de cette torpeur.
Chassons le libéral de notre tête.
Osons imaginer autre chose.
PS – Un jeune monsieur me dit que les appels à réfléchir sont « usants ». Conseillons-lui de se ménager.
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* sic : en postdémocratie, les juges sont au dessus des votes.
** La moyenne standard de hauteur parisienne est de 37 mètres... Sur les 'starchitectes' constructeurs de mégamachins, l'architecte Patrick Bouchain ironise : « Où habitent-ils en général ? Pas dans des tours, mais au rez-de-chaussée et au premier étage, avec vue sur un jardin. » À un journaliste espagnol qui mettait en cause l'imposture du gigantisme, l'architecte californien Frank Gehry, le 24 octobre dernier, a répondu par un doigt d'honneur. Comme ça c'est clair.
*** Jean Nouvel lui-même disait à Michel Guerrin en 2011 : « Le drame de cette tour est qu'il ne se passe rien en bas, et que, en haut, on ne voit pas de tête. J'appelle cela le phénomène, très parisien, de décapitation. » (Le Monde, 22/11/2014).
La réponse des "starchitectes"
" Alors qu'il donnait hier une conférence de presse en Espagne, l'architecte américain Frank Gehry, 85 ans, qui a créé le musée Guggenheim de Bilbao et le tout nouveau vaisseau de la Fondation Vuitton à Paris, qui ouvre ce week-end à Paris, s'est vu reprocher par des journalistes de pratiquer une « architecture spectacle ». Réponse de l'intéressé : il a levé son majeur, sans dire un mot, leur adressant ainsi un magistral doigt d'honneur avant de boire tranquillement une gorgée de café. "
(Le Parisien, 25/10).
11:21 Publié dans Ecologie, Idées, Société | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : idées
Commentaires
SYMPA
> Pas d'accord avec vous, moi je la trouve sympa et pleine d'entrain, la Triangle Tower. Et jeune, aussi : autant que Frank Gehry (85 ans). Si vous tournez le dos à l'espérance créative, où va-t-on ?
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Écrit par : Charles-Hubert / | 22/11/2014
DISCUSSION
> Oui, mais...
J'avais entendu à la radio un urbaniste intéressant, qui disait que par souci patrimonial, on refuse par exemple de construire à Paris des immeubles de plus de 5 étages. Or se permettre d'aller jusqu'à 10 soulagerait la pression immobilière. Paris est en train de devenir non plus une ville de bobos, non plus une ville bourgeoise, mais une ville de la haute bourgeoisie. Chaque année, des classes de primaire ferment, faute de familles. Les méga-tours spectacles ne sont sans doute pas la solution (surtout qu'il s'agit d'y mettre des bureaux et des centres commerciaux), mais on ne peut pas non plus faire de Paris un jardin patrimonial où ne pourront se loger que la très haute bourgeoisie.
Maud
[ PP à Maud :
- Laissés libres de leurs mouvements et fêtés par nos dirigeants, les "investisseurs" transforment Paris en une ville de bureaux vides et d'immeubles possédés par les Qatari.
- La spéculation immobilière rend le mètre carré inabordable à Paris. Loin d'inquiéter nos dirigeants, cette folie des prix est considérée comme "bonne pour la croissance".
- La réalité concrète, c'est ça. Les bobos peuvent raconter ce qu'ils veulent, ce ne sont pas eux qui mènent le casino financier. Ne nous trompons pas de cible. ]
réponse au commentaire
Écrit par : Maud / | 22/11/2014
LES TOURS PARISIENNES
> Il faut savoir que la question de construire des gratte-ciel à Paris s'est déjà posée à la fin du XIXe siècle (cf. Gilles Plum, "Paris, architectures de la Belle Époque", chez Parigramme).
La réponse a été que la densité exceptionnelle de Paris ne le permettait pas, tout simplement.
Car construire des tours pose de nombreux problèmes urbanistiques.
Trente ans plus tard, Le Corbusier proposa une solution en dégageant au cœur de Paris une vaste table rase à laquelle menait de vastes autoroutes taillées dans le tissu urbain. Trente ans plus tard encore, des tours commencent à être projetées et construites à la périphérie. Elles n'ont jamais été considérés comme des réussites, ni du point de vue de la création architecturale, ni du point de vue urbanistique, excepté dans une certaine mesure à La Défense.
Construire des tours à Paris ne peut donc constituer ni une opportunité de création architecturale, ni un véritable progrès de la ville. Les œuvres les plus reconnus du Paris moderne ne sont pas des tours.
Il faut aussi savoir que les réglementations actuellement en vigueur visent essentiellement, non pas à conserver une image traditionnelle à Paris intra muros, mais à assurer un urbanisme viable avec un minimum de qualité de vie. Et cela n'empêche pas d'étudier des projets plus loin du centre mais toujours dans l'agglomération, comme cela a été le cas pour La Défense.
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Écrit par : Guadet / | 22/11/2014
GENTILLE DAME DE DROITE
> Je me rappelle, il y a environ un an, avoir discuté avec une gentille dame qui tractait sur un marché proche de la porte de Versailles un samedi matin pour une liste très "droite moderne qui va de l'avant", tout à fait favorable à cette tour, pour les élections municipales.
Comme je l'assurais de ce que cette liste n'aurait pas la faveur de mon vote, elle me demanda pourquoi ; je lui répondis que j'étais opposé à cette tour, pour la simple raison que j'habite le quartier.
Deux arguments me furent opposés par cette brave dame :
1) "Vous n'allez quand même pas ne pas voter pour une liste parce qu'elle propose quelque chose à quoi vous êtes opposé."
2) "Avec cette tour, il y aura du business dans le quartier, et le business, c'est l'essentiel, non ?"
Cette dame doit faire partie des gens pour qui réfléchir est fatigant.
(NB : ladite liste fit environ 4% à l'élection municipale, permettant à Mme Hidalgo - candidate dans le XVe arrondissement - d'éviter de justesse d'être battue dès le premier tour, le candidat "officiel" de l'UMP totalisant 48%. Toute cuisine électorale à part, ce résultat aurait pu donner à réfléchir à Mme Hidalgo quant à son projet de tour...)
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Écrit par : Sven Laval / | 22/11/2014
PSEUDO-CONSULTATION
> Habitant le 15e à l'époque de la consultation sur cette tour j'ai été invité à participer à une consultation publique par A Hidalgo, je me suis dégonflé pour deux raisons :
- par crainte de m'exprimer en public et devant des gens "qui parlent bien" phénomène banal mais qui permet aux hommes politiques de faire passer tout et n'importe quoi depuis des années, des siècles ;
- parce que cette consultation n'était visiblement qu'une façade, le vrai but était de "faire de la pédagogie", le propre des dictatures y compris intellectuelles étant de se donner une façade démocratique.
Les dérives de l'architectures sont celles de l'art : "l'artiste" éructe son œuvre sans aucun souci de son intégration dans l'environnement existant et sans se poser la question de l'inintelligibilité de son œuvre. Pour cela les admirateurs doivent s'en remettre à la prose de l'artiste faisant lui aussi œuvre de pédagogie pour nous expliquer son délire et lui donner sens.
Il y a des gens pour les défendre, des étudiants en art pour répliquer "mais qu'est-ce que l'art ?" avec un air condescendant et éclairé comme lorsque le collège des Bernardins abritait une "œuvre" dont j'ai oublié la signification et consistait en des débris de verre répandus sur le sol (ça m'a fait pensé à la nuit de cristal je me souviens mais qu'est-ce que c'était moche).
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Écrit par : DV / | 22/11/2014
PAS DE LIMITE
> M. Gerhy, merci de vous bauger si haut !
Grâce à cette élévation du sens de l'échange discursif, dont je ne sais dire si elle atteint ou dépasse les 150 mètres au-dessus de la civilisation, le propos devient on ne peut plus clair:
maçonnerie n'a pas de limite...
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Écrit par : Aventin / | 22/11/2014
PLUG
> Juste retour de bâton. Cette tour Triangle sera le plug anal d'Hidalgo. Qu'elle se le mette où elle veut.
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Écrit par : JG / | 22/11/2014
> Il faut espérer que Paris ne devienne pas Dubaï.
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Écrit par : Arnaud Le Bour / | 22/11/2014
PROCESSUS
> Dans un processus de décision collective, c'est le plus pédant et le plus orgueilleux qui entraine les autres, bourrés de sentiment d'infériorité.
Le nombre de décideurs accroit la folie collective.
D'ou le théorème.
Soit Ag l'agressivité d'un projet par rapport à son environnement
Soit i le nombre de décideurs.
Soient O1, O2,....Oi les orgueils des décideurs. Max (O1, O2,....Oi) la valeur la plus élevée.
R le niveau de vie de l'élite du pays.
On peut écrire
Ag = B*R*Max (O1, O2,....Oi)*i
Bon dimanche à tous.
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Écrit par : Pierre Huet / | 22/11/2014
CRITIQUE DE LA MÉGALOPOLE
> Dans les années 1920, les artistes allemands ont développé toute une critique de la ville moderne, qui a cessé d'être proportionnée à l'homme. Ils pensaient évidemment à Berlin, alors en pleine expansion urbaine et industrielle. Mais aujourd'hui? Nos politiciens ne rêvent que de mégalopoles "attractives".
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Écrit par : Blaise / | 23/11/2014
@Pierre Huet:
> Pas mal votre formule ! Mais vous n'avez pas donné de définition pour le terme B... le coefficient de Bêtise ?
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Écrit par : Albert Christophe / | 23/11/2014
PAS D'ACCORD
> Dans cet article rigoureux et si bien documenté il est déconcertant de retrouver des slogans simplistes du genre «Valls grenade les opposants de Sivens». L'auteur voudrait-il armer les gendarmes de pistolets à eau face à des manifestants ultra violents qui leur lancent des cocktails Molotov et des bouteilles d'acide ? Cette réaction de haine épidermique, typiquement soixante-huitarde, face aux forces de l'ordre n'a rien à faire dans un article de cette qualité.
Julien
[ PP à Julien - permettez-moi de vous faire remarquer que les morts ne sont jamais dans les rangs des forces de "l'ordre". Et qu'il n'y avait rien à protéger (du "désordre") à Sivens, rase campagne... ]
réponse au commentaire
Écrit par : Julien / | 24/11/2014
FASCINANTE
> Ce qui est fascinant, c'est de voir Mme Hidalgo refuser la démocratie par amour de l'argent... Et je ne doute pourtant pas qu'elle serait la première à se dire profondément "démocrate" (un peu comme un slogan).
La gauche comme la droite révèlent peu à peu leur vrai visage...
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Écrit par : Xavier / | 24/11/2014
"PARIS HISTORIQUE"
> Si ça intéresse quelqu'un :
L’association Paris historique organise
son prochain Café patrimoine
le jeudi 11 décembre 2014 sur le thème
"L'importance de la tradition historique
dans la naissance de la modernité à Paris en 1900" :
" La Tour Eiffel et Guimard, c'est tout ce que le grand public retient de l'architecture parisienne de la Belle Époque. Ce n'est pourtant rien à côté de la richesse de ce qu'elle était vraiment. Les partisans de la table rase s'opposaient déjà à ceux qui se passionnaient pour le patrimoine de la capitale. Et, si l'on étudie sérieusement et impartialement les œuvres des uns et des autres, on ne peut que se demander si ce ne sont pas les seconds - parmi lesquels sont ceux qu'on appelle les "académiques" - qui ont su le mieux répondre aux défis de leur époque et préparer l'avenir."
Présentation du livre
Paris, architectures de la Belle Époque,
par son auteur Gilles PLUM,
docteur en Histoire de l'Art,
auteur de nombreux ouvrages sur l'architecture française entre 1850 et 1960.
Débat à 19h30, accueil à partir de 19h.
Participation : 5€ avec une consommation (2€ pour les étudiants)
Rendez-vous à
l’association pour la Sauvegarde et la Mise en valeur du Paris historique
44-46, rue François Miron 75004 Paris (M°Saint-Paul ou Pont Marie)
Tél. : 01 48 87 74 31
www.paris-historique.org - contact@paris-historique.org
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Écrit par : Guadet / | 24/11/2014
@ Albert Christophe
> Ah oui, pardon, la définitionest restée dans le clavier je voulais y revenir, hésitant entre B= Branchitude ou Boboïté.
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Écrit par : Pierre Huet / | 24/11/2014
PROJETS
> Que les admirateurs des démesures de l'architecture contemporaine ne se désespèrent pas : Paris regorge de projets magnifiques...
http://www.petitions24.net/non_au_bonnet_dane_tours_duo_a_massena
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Écrit par : sven laval / | 10/12/2014
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